Victoria 3

Naufrage du Victoria


Le nombre des victimes


Dieppe, 15 avril, 7 h. 15 soir.
La grande nouvelle du jour, c'est que le Compagnie des paquebots de Dieppe à Newhaven connait le chiffre exact des morts. Leur nombre est de onze, savoir : les quatre personnes dont les corps ont été retrouvés, et sept dont on reste sans nouvelles.
Pour que l'on soit aussi affirmatif à cet égard, il faut que la compagnie ait pu reconstituer, par les déclarations qu'elle a reçues, le nombre des passagers retrouvés vivants. Je le souhaite sincèrement.
On n'a pas retrouvé de nouveaux cadavres, malgré le bruit qui s'en était répandu en ville,parce qu'on avait vu expédier des fourgons au cap d'Ailly ; mais ces fourgons allaient tout simplement chercher les épaves recueillies tant à Ailly qu'à Quiberville et tout le rivage voisin. J'ai vu ces épaves ; il y a quelques malles qui paraissent ne pas avoir souffert de l'eau ; mais la plupart sont fort avariées.


Visite au steamer échoué


Dieppe, 15 avril, 7 h. 45, soir.
Ce que je vous disais hier s'est confirmé. On a commencé aujourd'hui – la chose étant devenue possible par suite de l'état de la mer – à s'approcher du paquebot Victoria.
M. Marin, directeur de la Compagnie de l'Ouest, et le capitaine White, chef du service de la navigation de Dieppe à Newhaven, accompagnés d'un sauveteur anglais, sont allés en canot visiter le steamer. De cette première exploration, il résulte que le renflouement su navire est possible.
La compagnie s'est adressée à la maison Flechter, de Londres, qui entreprendra le relèvement à l'aide de sacs de caoutchouc rempli d'air. On va, me dit-on, se mettre à la besogne immédiatement.

A midi, M. Swift, de Genève, est arrivé, comme il avait été annoncé. Il s'est rendu, faubourg de la Barre, chez M. Lee Jortin, le consul anglais, où il a retrouvé son fils cadet, unique survivant de sa famille. L'infortuné, accompagné du consul, est allé à la morgue, où il a reconnu sa femme et son dernier fils, Pierre.
Fécamp, 15 avril, 11h.40, matin

Les derniers naufragés du Victoria débarqués à Fécamp, un peu remis de leurs fatigues et de leurs émotions par un bon jour de repos, ont quitté ce matin la ville par le train de 11 h. 27 après avoir reçu chez les habitants une généreuse et cordiale hospitalité.
Mme York et Mlle O'Neil débarquées à Fécamp en même temps que les trente-sept autres n'ont pas été comprises sur la liste que vous avez publiée, ce qui porte à trente-neuf le nombre des personnes arrivées dans notre port.


C'est certainement au bateau de sauvetage de Saint Valery en Caux que les trente-sept passagers du Victoria, partis à la dérive, dans deux canots, doivent d'avoir été recueillis.


Le Pays de Caux raconte comment, malgré la difficulté, le bateau de sauvetage a pu aller au secours de ces malheureux :
«Vers huit heures du matin, le pilote Marchand, en observation sur la falaise d'aval, aperçut à l'est du port deux embarcations de naufragés et qui paraissaient se diriger vers la terre; voyant le danger et l'impossibilité pour ces malheureux d'accoster le rivage sans courir à une mort certaine, tant la mer était grosse et déferlait avec violence, il les avertit du danger. A ce signal ils regagnèrent le large, se laissant aller au gré du vent et du courant. Le comité de la Société de Sauvetage, prévenu aussitôt, se réunit. Une équipe de treize volontaires se présenta immédiatement et le canot, armé en un instant, fut sorti et descendu sur sa glissière.


Mais, par malheur, la mer était basse et le chenal à sec; cette circonstance fatale, qui n'avait pas permis aux naufragés d'entrer dans le port, ne permettait pas non plus au canot d'en sortir.


Heureusement, si l'avant-port était vide, notre basin possédait un grand volume d'eau, on ouvrit toutes les portes et l'irruption soudaine de ce vaste réservoir providentiel permit de lancer et de mettre à flot le life boat (bateau de vie, comme disent les Anglais) qui, sous l'impulsion de la chasse, vola comme une flèche et, malgré fond, vagues et brisants, gagna le haute mer.
Tout n'était pas fini cependant. Il s'agissait pour le canot sauveur de retrouver ces coquilles de noix presque invisibles. La direction du vent et du courant étaient un guide il est vrai. 

Les malheureux naufragés aussi veillaient et l'un d'eux, au bout de peu de temps, aerçut sur la crète des vagues, la coque du Jean Dufour ; il agita aussitôt son mouchoir en criant « Hurrah ! Pour les sauveteurs » ; son signal fut compris.

 A ce moment les deux canots dont les équipages impuissants étaient paralysés par le roid et la fatigue ne naviguaient même plus de conserve et se trouvaient séparés l'un de l'autre d'environ deux cents mètres. On parvint pourtant à les aborder.


Mais là, nouveau péril. Ces pauvres gens, au nombre desquels beaucoup de femmes affolées par le désespoir, se ruèrent sur le canot de sauvetage au risque de le faire sombrer. 


Enfin tout se passa sans accident ; mais la persistance du vent contraire et la grosse mer, on ne pouvait pas songer à gagner Saint Valery. Le patron Cantrel, dont on ne saurait assez louer l'énergie et le sanf-froid comme celui de son équipage, résolut de faire voile pour Fécamp.


M. le commissaire de la marine de Saint Valery avait informé son collègue de Fécamp de cet événement. Ce dernier donna ordre aussitôt au Humbold de prendre la mer pour prêter son concours au canot de sauvetage de Saint Valery. Il le rencontra par le travers des Petites Dalles à distance à peu près égale des deux ports. »


On sait le reste.

2 commentaires:

  1. Bon sang ! encore panique quand il ne le faudrait pas !
    Encore injustifiée de surcroit !
    Le secours arrive, bien "solide", et les usagers ont failli mettre en péril non seulement eux mais leurs sauveteurs en prime.
    Tu sais quoi ? probablement aucun rapport mais ça me fait penser aux joueurs de tennis qui n'arrivent pas à décider de gagner.

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    1. Cette panique à l'arrivée des secours est la principale raison de la publication de ce billet. L'autre raison est le moyen envisagé pour renflouer le Victoria. On n'a rien inventé de mieux depuis 1887.

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